J'ai
hésité sur la façon de raconter cette expérience tant elle fut riche et
multiple. En effet, les images contenues dans les trois vidéos insufflent déjà une
telle vision, que les mots pourraient réduire ce que l’image offre.
J'ai finalement choisi de vous raconter une histoire. Celle qui évoque ce qui nous a
rapproché dans ce chemin, sur les talents et les forces qui ont permis de
relier le passé, le présent et le futur, le corps, la raison et le cœur. Parler
de relier le passé et le futur semble paradoxal lorsque le thème du
spectacle est de raconter l'histoire des favelas au travers de la danse.
Et
bien justement, c'est ici que le miracle s'accomplit.
Ici,
c'est le corps et la créativité qui ont permis de tisser, qui ont pris le relai des mots et qui ont permis
d’incarner à travers le mouvement individuel et collectif, au sein de
cette communauté, un élan vers le futur.
Nous
voyagerons selon ces différentes étapes :
-
la génèse de l’histoire
-
le cheminement et ses virages
-
les enjeux et les écueils
- les relations humaines
- les relations humaines
-
les conclusions
En
préambule, un bref rappel de l’histoire. Il s'agissait de créer un projet
commun : "Raconter l’histoire des favélas au travers de la danse" et proposer à des personnes désireuses de mettre en œuvre leurs talents créatifs
et leurs compétences de danseurs au service de ce projet.

J’avais
reçu quelques semaines avant mon arrivée, quelques informations sur le milieu
ambiant dans la favela : géographie, urbanisme, architecture, ainsi que
des données culturelles, historiques et organisationnelles. En résumé, j’avais
retenu que « les organisations internes à la favéla sont souvent menées
par une seule personne, ceci générant des carences dans le fonctionnement collectif
et une circulation de l'information insuffisante voir fragmentée ». En ce
qui concerne la communication, « les échanges peuvent passer en alternance
du soutien au rejet voir au blocage. Enfin, la gestion du temps est structurée
sur du court terme. »
Afin
d'accompagner la communauté à atteindre l'autonomie sociale et économique, ce que propose l'association, est de :
- Responsabiliser les leaders et les résidents afin de faciliter la
collaboration et
l’action.
l’action.
-
Faciliter la prise de conscience de l'interdépendance, dans le but de créer des
liens.
-
Les aider à développer les compétences de créativité et d'action.
L'essence du formidable travail que réalise les membres de l’association sur place se résume en cette phrase :
« Il s’agit d’un travail de conscientisation
sociale et non d’assistanat social ».
Effectivement,
dans les interventions en contextes particuliers voir difficiles, les personnes
peuvent focaliser, hélas trop souvent, sur ce qui ne fonctionne pas, le
négatif, les manques, les carences. Ce regard et cette focale va générer
de la dépendance, un regard en attente vers l'autre. La réponse est en-dehors de soi et du système et c'est « cet autre » qui a la
réponse à nos problèmes.
Ce
mode d'intervention est souvent proposé par des spécialistes. Il génère de
l'attentisme de la part de la communauté car ce sont les experts qui ont la
réponse. Alors il est urgent d’attendre, de mettre les décisions en veilleuse
et les personnes activent la victime en elles entraînant le système vers
l’inertie, voir l’apathie.
Il ne s'agit pas de supprimer les spécialistes et les experts, mais de les accompagner à entrer dans des relations plus horizontales afin de déclencher le savoir-faire des personnes de la communauté.
Revenons au terrain : ici,
l'enjeu était pluriel. Il nécessitait à la fois de la présence, la valorisation des
compétences et la foi envers les personnes. Il s'agissait de soutenir les personnes et le projet, même si
les choses n’avançait pas sur un mode linéaire. Ici, nous sommes
fréquemment sur un mode de pensée circulaire et multi-factoriel. Cela signifie que face à une
question posée peut apparaître de nombreuses réponses, qui ne sont pas directement en lien
avec la question ; et pourtant, elles sont interdépendantes de celle-ci. Cela
demande un peu de patience, au regard à un mode de pensée linéaire et une gymnastique cérébrale intéressante.
Il s’agit vraiment de faire confiance, car même si dans une demande très précise, la réponse vous semble floue, finalement cela avance tout de même, par d’autres biais et pas forcément au rythme souhaité initialement.
En évoquant le rythme, il est important de préciser que la question du temps et de sa chronologie n'existe pas ou peu. Ce n'est pas le sujet. Là, c'est beaucoup plus déstabilisant car sur un projet, la notion de temps m'a toujours paru essentielle. Là aussi, j'ai pu modifier quelque peu cette vision, sans quelques inconforts au début. Mais de ce fait, et dans ce nouvel espace temps, le moment présent prend toute sa puissance.
Il s’agit vraiment de faire confiance, car même si dans une demande très précise, la réponse vous semble floue, finalement cela avance tout de même, par d’autres biais et pas forcément au rythme souhaité initialement.
En évoquant le rythme, il est important de préciser que la question du temps et de sa chronologie n'existe pas ou peu. Ce n'est pas le sujet. Là, c'est beaucoup plus déstabilisant car sur un projet, la notion de temps m'a toujours paru essentielle. Là aussi, j'ai pu modifier quelque peu cette vision, sans quelques inconforts au début. Mais de ce fait, et dans ce nouvel espace temps, le moment présent prend toute sa puissance.
C'est ainsi que la relation et le présent ont pris leur place au coeur même du processus et en sont devenus l'essentiel. En partant de la réalité, de ce qui est, de ce que nous avions et ce que nous n'avions pas, nous allions créer. Ainsi, l'histoire de la favéla qui aurait pu être écrite bien avant le début des répétitions n'est pas arrivée, peu importe la raison, c’est un élément important de cette réalité. Je suis donc arrivée au Brésil sans l'histoire, car même si des interviews avaient été effectués, je ne pouvais construire un scénario sur ces contenus. C'est en connaissant un peu la culture du Brésil, sans expérience de la favéla, de ses tissages relationnels et de ses pouvoirs révélés et cachés que je partais à l’aventure.
Dans
ce contexte, je ne pouvais exercer aucun autre rôle que celui de facilitatrice,
en laissant toute la place aux acteurs locaux.
Dans
un premier temps, nous avons donc noté ce dont nous avions
besoin et comment y répondre. Là,
il y a eu clairement deux types de réponses :
-
une réponse très pro-active, fermement décidée à avancer quoi qu'il arrive
-
une réponse plus réservée, non dénuée d’enthousiasme parfois, mais allant
chercher les difficultés plutôt que les solutions.

Thème récurrent, sujet classique en groupes de travail ici ou ailleurs.
"Escolinha de Arte e Reforço", lieu des cours,
des répétitions et de certaines réunions.
Ici, les personnes, en répondant "présente" à ce projet avait déjà activé un chemin de transformation, et elles n'étaient pas seules !
Certaine d'entre elles jouaient une pièce maîtresse dans leur avenir et étaient prêtes à créer et
les autres jouaient leur métamorphose vers une autre forme de coopération.

"Escolinha de Arte e Reforço"
Après
une semaine environ, nous avions peu à peu avancé entre ces deux mouvements d’avant
en arrière, et entre la présence et l’absence.
La vie du projet naviguait entre les eaux de l'enthousiasme et du découragement. Je tentais la médiation régulière afin que chacun devienne apprenant de l'autre, questionnant et curieux. A partir de là un espace nouveau s'est finalement ouvert, celui de la rencontre qui permettait de créer.
La vie du projet naviguait entre les eaux de l'enthousiasme et du découragement. Je tentais la médiation régulière afin que chacun devienne apprenant de l'autre, questionnant et curieux. A partir de là un espace nouveau s'est finalement ouvert, celui de la rencontre qui permettait de créer.
Le groupe commence à se constituer
Ayant
proposé une réunion pour travailler sur le scénario que nous n'avions pas
encore élaboré une semaine après mon arrivée, nous avons posé ce que
nous avions en commun, ce qui nous ré-unissait sur ce projet, ce qui nous
rendait "UN" dans cette vision du spectacle et son futur pour la
communauté. Nous avons valorisé les compétences qui nous permettraient
d'aboutir, de voir le scénario s'écrire à travers les mémoires et l'imaginaire.
Il s'agissait de susciter la reliance des visions afin de se mettre au service
de la communauté et dépasser les égos qui tiraient selon les peurs de
chacun.
A
partir de là, le terreau est devenu plus fertile. Cela n'a pas tout solutionné car
le processus de transformation continuait son oeuvre en chacun. La
communauté quant à elle réagissait dans des mouvements similaires. Nous avions parfois 4
élèves dans une classe et 25 dans une autre.
La présence a permis de créer un contenant et un "tissage" de confiance où les personnes se sont peu à peu reconnues dans le projet et sont venues nous rejoindre, osant se lancer, faire face à elles-mêmes, à leur corps et aux regards. Ici la musique et l'histoire jouent un rôle important qui permet tout à la fois de se détendre et de se recentrer.
La présence a permis de créer un contenant et un "tissage" de confiance où les personnes se sont peu à peu reconnues dans le projet et sont venues nous rejoindre, osant se lancer, faire face à elles-mêmes, à leur corps et aux regards. Ici la musique et l'histoire jouent un rôle important qui permet tout à la fois de se détendre et de se recentrer.
Entre
temps, j'avais expérimenté chaque jour le principe d'incertitude. Vous savez, ces évènement inattendus, imprévisibles qui arrivent au milieu du chemin et qui peuvent non seulement
bouleverser le cours des évènements mais aussi nos théories et nos idées.
Donc,
la veille au soir, nous avions commencé à parler de l’évènement, et avions
invité les auditeurs à nous rejoindre le 26 juillet afin de voir le spectacle.
Nous comptions vraiment sur la radio pour communiquer régulièrement à ce sujet.
Le lendemain, en me rendant sur les lieux, j'apprends que la police est passée
dans l'après midi pour récupérer "le coeur émetteur" de la radio et
l'ordinateur avec tous les programmes. En effet, la venue du Pape à Rio, active
les zones de contrôle dans la région.
Là,
c'est vraiment très ennuyeux !
Entre
temps, les danseurs se confirment dans leurs gestes, les personnes pilotes
prennent leur place, ou pas encore tout à fait.
Nous
avançons avec ceux qui sont là, même lorsqu'ils ne sont que 3. Chaque pas et
chaque personne est importante, au-delà de son rythme. Le défi de l’absence et des absents résonne comme un mantra dans ma tête : « nous ne pouvons désirer à la
place de l'autre et ne pouvons faire à sa place ».
Le
chemin est apprenant et le présent devient de plus en plus essentiel. Ce qui
n’a pas eu lieu est très vite abandonné sans regret puisque nous l'acceptons, et
les visions se font plus rares car tout peut-être balayé très vite. Je pense
vraiment que nos leaders devraient venir faire un stage d’accompagnement
d’équipe au Brésil, cette culture est d’une richesse sans pareil pour apprendre
à vivre avec le présent. D’autre part, et c’est à noter dans chaque rencontre,
le cœur et la gentillesse est omniprésente. Cela permet de dépasser bien des difficultés !
Le
25 juillet, suite à une réunion de régulation avec une partie de l'équipe, nous répondons chacun à la question suivante :
-
"Qu'est-ce qui serait pour toi un spectacle réussi ? Racontes-moi ce que tu vois".
Et
là, de belles histoires de succès se déroulent devant nous, nous reliant tous,
au-delà d'une grande fatigue, au succès de la soirée de demain.
A
partir de là, tout s'est mis à fonctionner de façon presque fluide. Chacun était à sa
place, investi, impliqué, engagé, responsable de sa mission et attentif aux
autres.
Le
spectacle fut (évidemment) un succès, je vous invite à voir les vidéos si ce
n'est déjà fait. Une centaine de personnes constituait le public, dont Dona
Marizé, la doyenne de la favéla avec 94 ans qui était très émue de ce qu'elle a
vu se dérouler sous ces yeux.
Jeune danseuse très impliquée
-
Il a été décidé de poursuivre ces cours de danse au sein de la favéla.
-
Le nom du groupe est : "Prazeres de dançar".
-
Le spectacle va être repris, travaillé, affiné et l'intention est de le présenter dans un
théâtre à Rio de Janeiro, en 2014.
théâtre à Rio de Janeiro, en 2014.
-
Les enfants qui ont participé au spectacle souhaitent continuer activement les
cours de danse.
Je
termine en remerciant chaque acteur au sein de l’association pour leur soutien
et leurs éclairages quand ce fut nécessaire, et particulièrement Georges, Edson et Paulo.
Egalement à toutes les personnes avec qui j'ai travaillé directement, Ana, Flavio, Lielle et Joana, et à toutes celles que j’ai rencontré très régulièrement au sein de la
favéla, investies au cœur du projet ou en périphérie.
Merci !
Vous m'avez beaucoup appris.
En conclusion, je reprendrai une phrase de l'excellent livre de Adalberto Barreto (*) et Jean-Pierre Boyer : "L'indien qui est en moi"
"Abandonner ses rôles permet d'être partie prenante de ce qui s'échange,
de prendre un bain d'humanité et de retrouver l'indien qui est en moi".
En conclusion, je reprendrai une phrase de l'excellent livre de Adalberto Barreto (*) et Jean-Pierre Boyer : "L'indien qui est en moi"
"Abandonner ses rôles permet d'être partie prenante de ce qui s'échange,
de prendre un bain d'humanité et de retrouver l'indien qui est en moi".
• Adalberto Barreto est brésilien et a créé une méthode de « Thérapie Communautaire Intégrative » au Brésil depuis une vingtaine d'années. Psychiatre et
Ethnologue, Professeur à la faculté de Médecine de l’université Fédérale du
Ceará.
Je vous partage ici un extrait : "J’ai eu la chance
dans la période difficile de la dictature des colonels de venir faire des
études en Europe. Tel un chercheur d’or, je pensais que l’Europe représentait
une mine inépuisable de richesse intellectuelle, de savoirs et de compétences
universitaires. J’ai donc fait ma spécialité de psychiatrie à Lyon où j’ai eu
le plaisir de rencontrer mon ami Furtos et Jean Guyotat et j’ai passé le doctorat
d’ethnologie avec comme professeur François Laplantine. Enfin, j’ai suivi et
validé des études de philosophie et théologie à Rome et d’Ethnopsychiatrie à Paris avec Georges
Devereux.
Tout en continuant à
creuser les mines d’or, à la recherche de pépites de plus en plus pures, je me
suis rendu compte progressivement que ces mines cachaient des manques
relationnels de chaleur et d’humanité dont l’expression était pourtant très
courante dans ma culture nordestine.
En rentrant au
Brésil, bardé de médailles de savoirs européens, on m’a tout de suite proposé
une chaire de professeur de santé communautaire et des consultations de
psychiatrie à l’hôpital universitaire. Face à cet afflux de gens présentant les mêmes difficultés existentielles
j’ai pris conscience que ma position et mes compétences touchaient leurs
limites. Face à ces défis j’ai décidé d'aller sur place, dans les communautés, pour mieux comprendre
la situation de ces consultants, leur contexte. Mais surtout j’avais l’idée
qu’au sein même de ces communautés, il y avait des ressources, des savoirs, et
que mon rôle pouvait être de les aider à reconnaitre ces capacités, à les
mutualiser et les mettre en commun."
De ces multiples expériences, il a créé le modèle de « Thérapie Communautaire Intégrative ».